
L’Éthiopie a célébré l’inauguration complète de sa plus grande réalisation d’ingénierie, le Grand barrage de la Renaissance (GERD). Devenu la plus puissante centrale hydroélectrique du continent africain, ce projet est perçu à la fois comme un levier de développement crucial pour des millions d’Éthiopiens et comme une source d’inquiétude majeure pour les nations situées en aval, principalement l’Égypte.
Une ambition nationale pour l’énergie et le développement
Pour l’Éthiopie, deuxième nation la plus peuplée d’Afrique, le GERD est la pierre angulaire de ses ambitions économiques. D’un coût de 5 milliards de dollars, ce barrage situé sur un affluent du Nil est conçu pour transformer le paysage énergétique du pays. Avec sa capacité de production maximale désormais atteinte à 5 150 MW, il vise à fournir de l’électricité à plus de la moitié de la population qui en était privée jusqu’en 2022.
Lors de la cérémonie d’inauguration, le Premier ministre Abiy Ahmed a tenu un discours rassembleur, affirmant que l’objectif du barrage était d’apporter la prospérité à la région et non de « nuire à ses frères » soudanais et égyptiens. Le projet est devenu un puissant symbole d’unité nationale dans un pays souvent marqué par des conflits internes. Financé en grande partie par l’État (91 %) et complété par les contributions des citoyens éthiopiens, il incarne une réussite collective.
Les retombées locales se font déjà sentir. Un agriculteur vivant à proximité, Sultan Abdulahi Hassan, témoigne de l’arrivée de l’électricité dans son village, qui a permis l’usage de réfrigérateurs et a radicalement changé le quotidien. Au-delà des foyers, cette nouvelle capacité énergétique attire également des industries modernes, comme le minage de cryptomonnaies.
Inquiétudes en aval : L’Égypte et le Soudan en alerte
Depuis le lancement du projet en 2011, l’Égypte observe la construction avec une vive préoccupation. Le Caire, dont la population dépend à près de 90 % des eaux du Nil, considère le barrage comme une menace pour sa sécurité hydrique. Les autorités égyptiennes craignent que le GERD ne restreigne le débit du fleuve, surtout en période de sécheresse, et invoquent des traités historiques sur le partage des eaux pour contester la légitimité du projet. Le gouvernement a porté l’affaire devant le Conseil de sécurité de l’ONU, qualifiant l’initiative éthiopienne de violation du droit international.
Le Soudan partage certaines de ces inquiétudes et s’est joint à l’Égypte pour exiger un accord juridique contraignant sur les modalités de remplissage et d’exploitation du barrage. Cependant, la position de Khartoum est plus nuancée, car le pays pourrait également bénéficier d’une régulation des crues du Nil et d’un accès à une électricité bon marché.
Un remplissage prudent et un avenir incertain
Face à ces tensions, l’Éthiopie se veut rassurante. Le remplissage du réservoir, qui a créé une étendue d’eau plus vaste que la ville de Londres, a été effectué progressivement depuis 2020. Selon Addis-Abeba, cette méthode a été choisie pour ne pas impacter significativement les pays en aval.
Des études indépendantes semblent corroborer cette affirmation pour le moment, notant que des conditions pluviométriques favorables et une gestion prudente du remplissage ont permis d’éviter des perturbations majeures du débit du fleuve.
Malgré la mise en service du barrage, un défi de taille demeure : l’acheminement de l’électricité. Si les zones urbaines sont bien desservies, le manque d’infrastructures de transmission limite encore l’accès à l’énergie pour une grande partie de la population rurale, qui devra patienter avant de profiter pleinement des bénéfices de ce projet monumental.