
L’Afrique est en passe de devenir un acteur majeur du marché mondial du gaz naturel liquéfié (GNL), avec une multiplication des projets gaziers qui attirent des investissements colossaux. Cependant, cette expansion met en lumière un paradoxe : si le continent est un fournisseur de ressources énergétiques de premier plan, il peine encore à capter une part significative de la valeur ajoutée générée par ces projets, notamment lors des phases de développement industriel les plus lucratives.
Le Défi de la Maîtrise Industrielle
Des annonces récentes, telles que l’accord préliminaire entre Samsung Heavy Industries et le Mozambique pour la construction d’une unité flottante de liquéfaction de gaz (FLNG) de 637 millions de dollars, confirment l’attractivité des gisements africains. Pourtant, la construction de ces infrastructures complexes reste largement entre les mains d’entreprises asiatiques. En effet, des géants sud-coréens comme Samsung Heavy Industries dominent le marché des FLNG et des plateformes offshore, détenant plus des deux tiers des nouvelles constructions à la mi-2024.
L’exemple du projet Coral Sul FLNG au Mozambique, un investissement de 7 milliards de dollars conçu et construit en Corée du Sud, est révélateur. Bien que le projet ait généré des bénéfices locaux significatifs (formation de 200 Mozambicains pour 1 400 emplois directs et indirects, et 800 millions de dollars de contrats pour les entreprises locales), les compétences techniques et la production industrielle de pointe demeurent externalisées. Le même constat s’applique au projet Greater Tortue Ahmeyim (GTA) au Sénégal et en Mauritanie, où l’unité FLNG Gimi a été convertie à Singapour et la plateforme FPSO assemblée en Chine, pour une valeur estimée à plus de 1,3 milliard de dollars.
La raison principale de cette situation est l’absence de chantiers navals africains certifiés et dotés des capacités techniques et opérationnelles nécessaires pour construire de telles infrastructures énergétiques. En conséquence, les pays africains sont systématiquement exclus des marchés les plus rentables, au profit d’entreprises étrangères. Cette exclusion est d’autant plus préjudiciable que la phase de développement d’un projet GNL, incluant la conception, la construction et l’équipement industriel, représente une part majeure des investissements. Selon Norton Rose Fulbright, la liquéfaction peut absorber jusqu’à 75 % du capital investi dans un projet GNL, y compris pour les unités flottantes.
Potentiels et Enjeux pour le Développement Local
Malgré ces défis, l’émergence du secteur africain du GNL offre des opportunités de développement économique considérables. Pour en tirer pleinement parti, les pays africains doivent renforcer leurs politiques de contenu local. Bien que des efforts soient déjà en cours, ils se heurtent encore à des lacunes en matière de capacités techniques et à un alignement insuffisant sur les standards internationaux.
Cependant, c’est précisément dans la montée en compétence et l’industrialisation que réside le véritable potentiel de transformation pour le continent. En investissant dans la formation de main-d’œuvre qualifiée et en apportant un soutien étatique robuste à l’industrialisation, les nations africaines peuvent progressivement acquérir l’expertise nécessaire pour participer activement aux segments les plus rémunérateurs de la chaîne de valeur du GNL. Cela permettrait non seulement de créer davantage d’emplois directs et indirects, mais aussi de développer un écosystème industriel local solide, capable de répondre aux exigences des grands projets énergétiques.
Le développement du secteur GNL africain pourrait ainsi devenir un catalyseur pour l’émergence de nouvelles industries, le transfert de technologies et le renforcement des capacités techniques nationales. Il ne s’agit plus seulement d’exporter des ressources, mais de transformer ces ressources en un moteur de croissance économique durable et inclusif pour l’Afrique.