
Par Anibor Kragha, Secrétaire exécutif de l’Association africaine des raffineurs et distributeurs (ARDA)
Pendant des années, les attentes externes ont défini le rôle de l’Afrique dans la transition énergétique. Malgré des réalités différentes — infrastructures limitées, accès restreint au capital et influence réduite sur la politique énergétique mondiale — il a été supposé que l’Afrique suivrait le même chemin de décarbonation que les économies développées.
Cette manière de penser est déconnectée des réalités actuelles. Les priorités de l’Afrique — améliorer l’accès à l’énergie, favoriser la croissance industrielle et renforcer la résilience — doivent se refléter dans sa stratégie énergétique. Le continent participe activement à la transition énergétique mondiale, mais selon ses propres termes.
À l’African Refiners & Distributors Association (ARDA), nous croyons que la transition énergétique de l’Afrique doit être conçue en Afrique, pour l’Afrique, en équilibrant trois impératifs urgents : étendre l’accès à l’énergie, stimuler la croissance industrielle et prioriser la sécurité énergétique du continent. Cela implique de mettre en place des politiques, des mécanismes de financement et des partenariats adaptés à l’Afrique, plutôt que de copier des modèles inappropriés.
Des investissements diversifiés sur le continent
À travers l’Afrique, gouvernements et acteurs privés investissent dans des portefeuilles énergétiques diversifiés qui répondent à la fois aux besoins locaux et aux objectifs de durabilité mondiale. En Angola, la construction d’un projet solaire de 35 MW progresse, dans le cadre d’un pipeline plus large dépassant 3 GW de développements solaires, éoliens et hydroélectriques prévus.
En Ouganda, la centrale hydroélectrique de Bujagali (250 MW) joue un rôle crucial dans la stabilisation de l’approvisionnement électrique national. Pendant ce temps, en Afrique du Sud, un projet solaire photovoltaïque de 316 MW associé à 500 MWh de stockage par batteries est en cours de développement.
Ces projets marquent un pas important vers l’indépendance énergétique et la résilience à long terme. Le continent ne se contente pas de rattraper les tendances énergétiques mondiales, il les accélère grâce à des solutions locales conçues pour avoir un impact durable.
Une vision audacieuse ne suffit pas
Pour étendre la transition énergétique de l’Afrique à grande échelle, il faut un suivi structurel. Trois facteurs cruciaux détermineront si le continent peut passer de projets prospectifs à des changements transformateurs : le financement durable, l’intégration régionale et des cadres politiques favorables aux investisseurs.
Les investissements réalisés aujourd’hui doivent être visionnaires, visant à accélérer la transition vers une économie énergétique diversifiée et à faibles émissions, promouvant la croissance inclusive et le progrès.
1. Financement durable
La Banque africaine de développement estime que la transition énergétique de l’Afrique coûtera environ 100 milliards de dollars par an entre 2020 et 2040.
Les flux de capitaux actuels sont nettement insuffisants, et le financement disponible comporte souvent des primes de risque élevées, des durées de prêt courtes et une flexibilité limitée.
L’ARDA promeut des modèles de financement innovants qui combinent capital public et privé, réduisent les risques d’investissement et alignent le financement climatique mondial sur les priorités de développement de l’Afrique. Pour attirer des investissements sérieux, le continent doit utiliser des stratégies de financement intelligentes, réduisant les risques pour les investisseurs et encourageant les institutions mondiales à soutenir les projets énergétiques. Il est également vital de prioriser les initiatives combinant énergies renouvelables et systèmes de stockage, garantissant non seulement la réduction des émissions, mais aussi un approvisionnement électrique stable, le soutien aux industries et le renforcement de l’économie.
2. Intégration régionale
De nombreux pays africains dépendent encore de réseaux électriques nationaux fragmentés et sous-dimensionnés, difficiles à attirer pour les investissements à grande échelle. L’intégration régionale est essentielle et repose sur l’harmonisation des réglementations, des infrastructures transfrontalières et le partage des ressources électriques. Des initiatives comme le Marché unique africain de l’électricité (AfSEM) et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) posent les bases de la coopération. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’unité politique et d’investissements ciblés pour transformer ces initiatives en plateformes de sécurité énergétique et de croissance économique.
3. Cadres politiques
L’Afrique attire l’attention des investisseurs mondiaux, mais ce dont elle a besoin, c’est de prévisibilité. Les gouvernements doivent envisager des politiques qui simplifient le processus d’autorisation, de financement et d’exploitation des projets énergétiques. Qu’il s’agisse de tarifs de rachat, d’incitations fiscales ou de réglementations locales, l’objectif reste le même : réduire l’incertitude, diminuer les coûts et attirer des investissements à long terme. L’ARDA collabore avec les décideurs pour concevoir des cadres permettant la participation privée, assurant que les projets énergétiques soient non seulement bancables, mais aussi porteurs de valeur locale durable.
Les pays qui mèneront la transition énergétique du continent sont ceux qui offrent un environnement stable et transparent, permettant aux acteurs publics et privés de collaborer en toute confiance. Plus important encore, cette transition doit créer de la valeur locale : développer les compétences, transférer la technologie et stimuler de nouvelles industries, de la production de batteries à l’hydrogène vert. Chaque mégawatt produit doit être perçu non seulement comme de l’électricité générée, mais comme un emploi créé, une entreprise renforcée et une chaîne d’approvisionnement consolidée.
Des choix énergétiques intelligents
La transition énergétique africaine repose sur des choix stratégiques. Les carburants plus propres, comme le gaz naturel, continueront de jouer un rôle clé à court et moyen terme, notamment pour remplacer le diesel et le fioul à fortes émissions dans la production d’électricité et le transport. Le Mozambique, grâce à ses importantes réserves gazières et à ses initiatives en GNL, joue un rôle de plus en plus central dans l’avenir énergétique de transition de l’Afrique. Ces carburants de transition sont essentiels pour maintenir la fiabilité tout en préparant un futur bas-carbone.
Les investissements d’aujourd’hui doivent être tournés vers l’avenir, accélérant la transition vers une économie énergétique diversifiée et à faibles émissions, favorisant la croissance inclusive. La communauté internationale a tout à gagner dans cette transition. La vraie question n’est pas de savoir si l’Afrique fera ce changement, mais à quelle vitesse et avec quelle détermination le monde est prêt à soutenir ce parcours.